Il y a un trait sur le verso de ma pochette de Carnage. Un trait violet. Deux centimètres de long. Peut-être trois. Fin. Très fin. Assez net. Même si un frottement (un doigt ? un tissu ?) a installé comme un vague halo autour de ce trait. Un trait d’encre. Encre violette sur le fond blanc cassé de la pochette.
Je ne sais pas depuis quand ce trait défigure l’arrière de la pochette de mon exemplaire de Carnage. Je me demande même si je ne l’avais pas déjà remarquée auparavant, cette trace violette. Comment expliquer autrement que j’ai gardé un cellophane protecteur autour du carton de la pochette ? N’était-ce pas pour éviter des dégradations supplémentaires ? Un acte désespéré de préservation, sauver ce qui pouvait l’être encore ? Et si je m’en étais déjà rendu compte, de cette atteinte à l’immaculée de la pochette, comment et pourquoi l’ai-je oubliée ? Pourquoi cette impression de la découvrir hier, cette souillure, juste avant de mettre le disque dans la platine ?
C’est que j’en souffre. Elle me brise le coeur, cette marque. Parce que j’aime tous mes disques, que je veux les garder purs et innocents et beaux. Même ceux que j’aime le moins, je ne veux pas les abîmer. Et Carnage ne fait pas partie des disque que j’aime le moins, non. Et Carnage, de plus, j’avais eu du mal à le trouver. En magasin, à Versailles, il a fallu attendre plusieurs semaines après sa publication pour le trouver en rayon. Impatient, je m’étais résigné à le commander chez Gibert (sur le site internet) pour qu’ils me le livrent en magasin. Un peu comme pour le nouveau Kula Shaker, sorti depuis bientôt une semaine et que personne ne semble en mesure de me livrer en France… mais Kula Shaker n’a pas l’aura de Nick Cave…
Ce qui me rend le plus malheureux, c’est que ce trait d’encre violette, c’est moi, c’est forcément moi qui l’ai infligé à mon Carnage. Je reconnais la couleur de mes cartouches Waterman Violet Tendresse (je n’en ai plus, j’en cherche). Je reconnais presque mon stylo, ma plume tenue à l’envers (pour écrire très fin, très petit, je présente parfois la face supérieure de la plume à la feuille) dans ce trait. Je devine les circonstances : une soirée dans le canapé, à gribouiller des conneries (exemple) sur un bloc d’A4 petits carreaux, quelques disques qui traînent, on ne sait pourquoi, sur l’accoudoir. Maladresse geste de dépit trop large acte manqué. Je pourrais presque dater l’accident l’attentat si je m’en donnais la peine - mais j’ai la flemme.
Ça m’a gêné toute l’écoute de l’album durant, impossible de me concentrer, de rentrer dedans, je pensais à ce trait. Du moins, c’est l’impression que j’ai eu. Cependant, l’album est plus puissant qu’une petite déconcentration. En me promenant avec Natacha, hier soir, autour (et non dans puisqu’il était fermé) du Domaine de Mme Élisabeth, plusieurs chansons me tournaient en tête. Étrangement, Hand of God dans ma tête sonne exactement comme End of God - c’eut été un titre plus nietzschéen.
Avant de partir pour la bibliothèque, hier, j’avais écouté L’Oeuvre pour Piano de Schoenberg par Maurizio Pollini.
Schönberg : das Klavierwerk
Arnold Schönberg - Maurizio Pollini
Deutsche Grammophon 1975 / 1988 / ????
01-03 - Three Piano Pieces, op. 11
04-09 - Six Little Piano Pieces, op. 19
10-14 - Five Piano Pieces, op. 23
15-21 - Suite for Piano, op. 25
22 - Piano Piece, op. 33a
23 - Piano Piece, op. 33b